2.1 Quantifier les difficultés d’accès à l’équipement et à une connexion internet
La première difficulté qui émerge des consultations est celle de l’équipement et de l’accès à une connexion internet. Cette question se pose d’abord pour les publics eux-mêmes, qui n’ont pas toujours les moyens de s’équiper et d’accéder à une connexion internet, que ce soit pour des questions de couverture (zones blanches) ou de moyens financiers en témoignent le Défenseur des Droits et l’UNCASS.
La question de l’équipement en matériel informatique se pose aussi pour les organisations recevant des publics. Face au report de flux des personnes en difficulté avec les démarches en ligne sur ces organisations, celles-ci n’ont pas toujours les moyens de répondre à une telle demande.
« Certains centres sociaux et CCAS ne sont pas équipés ou le sont insuffisamment. Il faudrait développer des moyens de s’équiper à moindre coût ».
Guillaume Lahoz - Directeur du PIMMS de Melun
2.2 – Atteindre les publics les plus éloignés du numérique
Plusieurs structures soulignent les problèmes rencontrés pour atteindre les publics en situation de difficulté par rapport au numérique. Certains font la démarche d’aller vers les publics pour anticiper les besoins. Par exemple, les médiateurs sociaux dans les écoles et les collèges sensibilisent les parents aux limites d’âge et aux usages des réseaux sociaux, au cyber-harcèlement. Pour permettre un accès aux droits, ils font un travail de veille sociale qui consiste à repérer les personnes éloignées de l’accès aux droits.
Les opérateurs publics qui touchent une grande partie de la population sont impliqués dans l’enjeu de détection de l’autonomie numérique pour continuer à proposer un accompagnement à ceux qui en ont besoin et orienter vers des parcours d’inclusion numérique.
Par ailleurs, certains opérateurs de service public mènent actuellement des expérimentations pour s’appuyer sur leurs bases de données pour repérer les personnes en difficulté avec le numérique.
2.3 - Sensibiliser aux enjeux de l’inclusion numérique
La connaissance et la compréhension des enjeux liés au numérique apparaissent comme des préalables à toute démarche d’inclusion numérique. Ces problématiques sont aujourd’hui inégalement prises en compte dans les territoires. Si certaines collectivités et certains élus sont déjà mobilisés sur l’inclusion numérique parce qu’ils sont parmi les premiers témoins des difficultés rencontrées par leurs administrés, de nombreux témoignages soulignent toutefois la nécessité d’impliquer l’ensemble des élus et des décideurs sur cette question. Par ailleurs, permettre une autonomie des personnes en matière de numérique, si celles-ci souhaitent se former, suppose de pouvoir intéresser les publics et leur donner envie de s’engager dans une démarche d’apprentissage.
Plusieurs organisations proposent déjà des ateliers et des formations en ce sens et ont donc expérimenté des formats d’intervention auprès des publics, tant en termes de contenus que sur la forme. Des ateliers uniquement centrés sur l’usage d’un site en particulier, comme les sites des opérateurs de service public, ne semblent pas rencontrer un grand succès. Les ateliers ou formations proposant d’autres approches plus ludiques ou centrées sur d’autres aspects de la vie (échanger avec ses proches, partager des photos, documenter des pratiques en ligne) semblent connaître une plus grande adhésion et attractivité auprès des publics. Proposer des formations centrées sur des pratiques de loisirs peut aussi permettre à terme d’acquérir des compétences pour des pratiques de la vie courante (démarches administratives…). Les formations et accompagnements anglés sur des parcours de vie thématiques apparaissent aussi comme une piste à approfondir et à expérimenter comme le parcours « futur parent » évoqué par Dounia El Guasmi de la CNAM, Parcours « Construction du projet professionnel » évoqué par Cyrille Cohas Bogey ; Directeur général de l’Ecole de la Deuxième Chance
2.4 – Accompagner et orienter les publics
Face aux difficultés rencontrées par les publics, la question de l’accompagnement de ces personnes se pose. De nombreuses structures mettent déjà en place plusieurs niveaux de réponse pour atteindre et accompagner les publics sur le numérique.
Des espaces offrant l’accès à du matériel en libre-service : une réponse utile mais toujours insuffisante
Certaines antennes locales mettent à disposition dans leurs locaux du matériel informatique (ordinateurs, tablettes), en libre-service ou avec la possibilité de se faire accompagner par une personne pour la création d’une adresse électronique ou des démarches administratives. Des dispositifs de médiation sociale et/ou numérique existent également, comme des bus de médiation en zones rurales ou périurbaines pour accompagner les habitants.
Si l’équipement matériel est un préalable à tout accompagnement sur le numérique, la seule mise à disposition de matériel informatique en libre-service ne semble pas répondre de manière complètement satisfaisante aux difficultés rencontrées par les publics. L’ensemble des structures auditionnées s’accorde sur la nécessité d’un accompagnement humain des personnes.
Pour répondre à ce besoin des publics, des structures proposent différents niveaux d’accompagnement :
- Gérer l’urgence (démarche pour accéder à des droits) qui revient souvent à faire « à la place de » la personne
- Intégrer la personne dans un parcours d’accompagnement (formations/ateliers), si elle le souhaite
Faire à la place des publics : une question de déontologie
Si la plupart des acteurs (médiateurs sociaux, travailleurs sociaux, médiateurs numériques) s’accordent sur leur mission qui vise à rendre autonomes les personnes qu’ils accompagnent, ils sont néanmoins confrontés à des contraintes de temps ou à l’impossibilité de réorienter la personne. Cela les pousse parfois à faire « à la place de ». Par ailleurs, certaines personnes manifestent une telle crainte ou défiance vis-à-vis du numérique que les accompagnants en arrivent à faire les démarches à leur place. Cette situation engendre une tension entre d’un côté la déontologie de ces accompagnants, et de l’autre, la volonté de ne pas laisser en difficulté les personnes avec des demandes urgentes (qui conditionnent souvent leur accès aux droits). Des problématiques juridiques de responsabilité et de protection des données se posent aussi : qui est responsable de ce qui est renseigné lors des démarches en ligne quand quelqu’un remplit à la place de la personne ? Cette question est développée plus loin.
Si l’autonomisation des personnes est un objectif partagé par tous, certains acteurs de l’action sociale ont attiré l’attention sur le fait que pour certains publics, la question du numérique et de la formation pour apprendre à être autonome sur les outils numériques n’est pas une priorité (témoignage de Pierre-Jean Petit, Association Aurore). Viser l’autonomie pour tous les publics n’est pas une fin en soi ; pour des raisons différentes, certaines personnes ne pourront pas acquérir une autonomie numérique. Il est donc nécessaire d’envisager dans les réseaux locaux d’inclusion numérique le positionnement d’acteurs qui continueront à faire « à la place de » même si la mise en autonomie demeure un objectif partagé par tous.
« Les intervenants visent l’autonomie de la personne et le respect de son libre arbitre (…) La demande des usagers n’est pas de maîtriser les outils numériques mais de percevoir les prestations auxquelles ils ont droit : répondre à une demande en proposant à la personne de se former au numérique alors qu’elle attend une réponse à son problème d’accès au droit provoque des incompréhensions. »
Contribution du groupe numérique du Haut Conseil du Travail Social
L’enjeu de la (ré)orientation des publics
Dans certains cas, les personnes au contact de publics ne souhaitent pas ou ne peuvent pas proposer un accompagnement adapté. Les accompagnants réorientent alors parfois la personne vers d’autres structures compétentes.
« Le Secours Populaire fait à la fois de l’accompagnement des personnes sur place, mais peut aussi orienter les personnes s’il le faut. Cette orientation se fait à partir de la mise en place du guide de l’accueillant qui référence toutes les institutions, services et associations, vers lesquels nous pouvons orienter les personnes. Mais malgré le recensement, on a quand même loupé des lieux. » Sylvie Chevillard - Membre du Comité national du Secours populaire
Des partenariats entre différents types de structures permettent la réorientation des publics. C’est par exemple le cas pour certains opérateurs de service public qui dématérialisent et qui nouent des partenariats avec des Maisons de Services au Public (MSAP) ou des Point Information Multi Services (PIMMS) en complément des services qu’ils proposent pour réorganiser leur présence sur les territoires.
Aujourd’hui, la mise en lien entre des structures de médiation sociale et de médiation numérique reste complexe même si certaines connexions commencent à se développer.
Cette question de la réorientation des personnes fait débat. Certains estiment difficile de demander à quelqu’un qui recherche de l’aide de se rendre dans une autre structure à un autre moment alors qu’il a déjà fait la démarche de se déplacer une première fois.
La réorientation peut aussi être source de problèmes si elle se traduit par plusieurs réorientations successives et un retour à la case départ. Bien orienter les publics suppose en effet de connaître les différents dispositifs d’accompagnement à proximité, le type d’accompagnement proposé et les capacités d’accueil. Cela fonctionne aujourd’hui sur les territoires où prédomine une forte coordination des acteurs autour de l’accompagnement sur le numérique afin de connaître le rôle et les missions de chacun.
Le besoin d’évaluer le niveau d’appropriation et de maîtrise des outils numériques des publics est essentiel
Plusieurs organisations sont confrontées à la difficulté de diagnostiquer les compétences des personnes afin de pouvoir leur proposer un accompagnement adapté et/ou de les orienter vers d’autres structures. Bon nombre de structures procèdent ainsi à un diagnostic de manière informelle sans s’appuyer sur un outil formalisé et standardisé. La définition de ces compétences se fait souvent sans support précis, à partir de quelques questions orales ou de discussions informelles (Témoignage de Stéphanie Haloco - Les Restos du Cœur).
Cette difficulté d’évaluation du niveau d’appropriation et de maîtrise des outils numériques des personnes est d’autant plus importante qu’elles ont parfois du mal à montrer et à expliciter leurs difficultés, qui les renvoient à une mauvaise image de soi (Témoignage de Delphine Schemer - Secours Catholique).
Face à cette nécessité, nombreux sont ceux qui ont souligné l’intérêt d’un outil de diagnostic des compétences. Certains acteurs utilisent Les Bons Clics, développé par WeTechCare, ou développent des outils de diagnostic en interne (souvent sous la forme de questionnaires) comme le font certaines CAF. Les acteurs de terrain considèrent que les outils de diagnostic, quels qu’ils soient, nécessitent d’être contextualisés, et leur mise en place accompagnée, afin de répondre à la spécificité des situations des personnes (Témoignage de Jamel Arfi - Directeur de la Régie de Quartier de Trélazé et administrateur du CNLRQ).
Un manque de protection et d’encadrement juridique des accompagnants qui peut s’avérer bloquant
L’accompagnement des publics sur les démarches numériques soulève également le problème de l’absence de règles juridiques encadrant ces actions, que ce soit sur des questions de confidentialité (gestion des mots de passe, accès aux données personnelles) ou de responsabilité des personnes qui en accompagnent d’autres pour leurs démarches notamment en cas d’erreur.