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 1.1- Une diversité de publics complexe à identifier

Diverses études documentant les usages numériques des Français montrent qu’en 2016, 16% des Français ne sont pas internautes (n’ont pas utilisé internet au moins une fois au cours des 3 derniers mois). Parmi les internautes, 15% se disent peu ou pas du tout à l’aise dans l’usage d’internet.

Ce constat est partagé par l’ensemble des acteurs auditionnés et les contributeurs sur la plateforme de consultation, qui témoignent des difficultés induites par le numérique pour de nombreuses personnes, que ce soit pour la réalisation de démarches en ligne pour accéder à ses droits, le suivi de la scolarité des enfants, l’échange avec des proches, l’insertion professionnelle, etc.

L’âge, le niveau d’étude, le niveau de revenu, le lieu de résidence et la catégorie socio-professionnelle sont autant de facteurs déterminants dans l’appropriation et la maîtrise des outils numériques. Parmi les non internautes, les personnes les plus âgées et les non diplômés sont surreprésentés. Cependant, certains jeunes, qui bien souvent utilisent les outils numériques pour un usage de loisir ou ludique, le maîtrisent moins pour des pratiques plus professionnelles (outils de bureautique) ou pour accéder à leurs droits (démarches administratives en ligne).

 « On a mené une enquête auprès de 900 stagiaires au sein de l’E2C. 96% utilisent les réseaux sociaux. Or les jeunes n’ont pas forcément de pratiques numériques liées à la sphère professionnelle. »

Cyrille Cohas-Bogey ; Directeur Général des Ecoles de la 2ème chance

Les professionnels au contact des publics (travailleurs sociaux, professionnels de l’action médico-sociale, bénévoles, aidants etc.) sont aussi confrontés aux évolutions induites par le numérique et ne sont pas toujours à l’aise sur les outils informatiques.

1.2 - Un accès aux droits à repenser dans un contexte de dématérialisation des services publics

Dans un contexte de numérisation de nombreux services publics et privés, les personnes non internautes ou peu à l’aise avec l’usage d’internet rencontrent de grandes difficultés dans leur vie quotidienne, notamment pour l’accès aux droits malgré les différentes actions d’accompagnement mises en œuvre par les opérateurs  eux-mêmes, en témoigne aussi Anne-Laure Laderrière, chargée de mission à l’Union nationale des PIMMS.

 « La question de la dimension familiale est importante. Il ne faut pas se limiter à une approche individuelle de la question du numérique, qui peut être une opportunité (pour imaginer des modes familiaux d’accompagnement, où les enfants jouent un rôle d’acteur) ou une contrainte (le numérique pouvant créer une forme de fragilité de la fonction parentale car pour certains parents, ne pas être à l’aise avec ces outils peut être vu de manière difficile). »

Olivier Andrieu-Gérard- responsable des média et des usages numériques à l’UNAF

La dématérialisation et l’accès à divers services en ligne créent de véritables obstacles pour les personnes en situation d’illettrisme ou en situation de handicap, les majeurs protégés, les personnes sous tutelle ou sous curatelle. Certains services publics ont mis en place des accès spécifiques sur leurs sites dédiés aux tuteurs pour faciliter les démarches qu’ils réalisent pour le compte des personnes dont ils ont la charge.

Les acteurs de la solidarité et de l’inclusion sociale sont particulièrement témoins de ces difficultés ainsi que les opérateurs de service public et les collectivités locales, qui pour certains s’organisent pour mieux détecter ces publics.

 « Les bénévoles du Secours Populaire sont confrontés à des personnes qui ne veulent pas toucher à l’informatique. Il y a un refus de l’outil, lié à l’image de sa propre incompétence. »

Sylvie Chevillard - Membre du Comité national du Secours populaire

Jamel Arfi, directeur de la Régie de quartier de Trélazé et administrateur du CNLRQ (Comité National de Liaison des Régies de quartier) attire aussi l’attention sur les difficultés que peuvent rencontrer les seniors qui ne sont pas toujours habitués au lexique relatif aux usages du numérique. Pierre Henry,  Directeur Général de France terre d’asile et Bernard Dreyfus, Délégué général à la médiation avec les services publics auprès du Défenseur des droits, soulignent la difficulté que peut constituer la barrière de la langue pour les personnes ne parlant pas le français.

 « On a d’abord vu émerger des problématiques liées à l’équipement informatique puis les questions d’usages ont changé radicalement. Depuis 2005 et 2006, on remarque que permettre un accès à du matériel informatique n’est pas suffisant. Il faut permettre un accompagnement, les gens le demandent. »

Pierre Guyomar - Responsable numérique du CRIJ Rhône-Alpes

La branche Famille conduit une expérimentation avec l’Agence nationale de lutte contre l’illettrisme afin d’aider les agents d’accueil en Caf à détecter les situations d’illettrisme et/ou d’illectronisme, à adapter la posture d’accueil et le type d’accompagnement auprès de ces publics.

Le numérique est loin d’être le seul facteur expliquant le non recours aux droits. Si l’équipement en matériel informatique (ordinateur, scanner, imprimante..) et la maîtrise des outils numériques conditionnent l’accès aux droits, le manque d’information entraînant une méconnaissance des droits sociaux, la complexité des démarches à effectuer et la faible lisibilité des procédures sont autant de facteurs à l’origine de non-recours aux droits.

« On parle beaucoup du volet technique. Mais pour l’accès au droit, il faut savoir à l’avance à quelles prestations on peut avoir accès pour savoir, où la chercher et faire la démarche. C’est une problématique clé car il y a moins de guichets, il n’y a plus de médiation de premier niveau. »

Agathe Cousin – Chargée de la communication et des partenariats, France Médiation

Des expérimentations telles que celle sur le coffre-fort numérique pilotée par la Direction Générale de la Cohésion Sociale et l’Union nationale des Centres Communaux d’Action Sociale ont permis de montrer que la question de l’accès à l’équipement informatique se pose encore pour les publics des CCAS ; le public jeune n’est pas forcément plus à l’aise avec un coffre-fort numérique permettant de stocker ses justificatifs.

1.3- Un équipement des personnes ou une mise à disposition de matériel informatique non synonyme de maîtrise des outils numériques

De nombreuses personnes sont équipées mais ont un usage avant tout récréatif des outils, sans parvenir à les utiliser pour des démarches administratives. Le Défenseur des droits souligne que la mise à disposition de matériel informatique est loin de permettre l’accès aux droits par tous.

« Un nombre non négligeable de personnes souffre d’un fort déficit d’autonomie. Ils ne prennent pas l’initiative de s’installer devant un point numérique vacant et d’entamer la démarche s’ils ne sont pas pris en charge par un médiateur numérique. Les difficultés rencontrées par ces usagers sont telles que les médiateurs numériques sont fréquemment conduits à se substituer à eux.»

Bernard Dreyfus – Délégué général à la médiation avec les services publics auprès du Défenseur des droits

1.4- Un ensemble d’acteurs à identifier et à accompagner

Au contact de ces publics en difficulté avec le numérique se trouve une diversité d’acteurs, organisations de la solidarité, agents publics, bénévoles ou salariés, acteurs de proximité et de l’éducation populaire, agents des médiathèques et des bibliothèques, postiers, gendarmes, services civiques, élus locaux…

Le premier constat qui émerge des différentes contributions est l’implication de certaines organisations et structures sur l’inclusion numérique, alors même qu’il ne s’agit pas de leur mission principale. Des acteurs de la solidarité comme Les Restos du Cœur, la  Croix Rouge, le Secours Populaire, le Secours Catholique mais aussi des acteurs de proximité ou de l’insertion comme les Missions locales, les Régies de quartier, les Centres Régionaux Information Jeunesse, les Bureaux Information Jeunesse, les Maisons des Jeunes et de la Culture, les Associations Familiales, des acteurs de l’action sociale comme les Centres Communaux ou Intercommunaux d’Action Sociale et plus globalement les mairies, les centres sociaux, les médiathèques ou les bibliothèques et les opérateurs de service public eux-mêmes etc. sont directement confrontés aux difficultés rencontrées par les publics en matière de numérique.

Ces acteurs sont présents sur le territoire métropolitain et ultramarin, sur des territoires variés : en zones rurales, dans les villes moyennes, dans les grandes agglomérations ou encore dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville. Par leurs missions, ils ont souvent une connaissance fine de la réalité des habitants et de leur familiarité avec le numérique.

 « On a une volonté très forte d’accompagner le numérique car c’est incontournable aujourd’hui : accompagner pour que les gens l’apprivoisent et ne le subissent pas. »

Annie Verrier, adjointe au maire d’Amiens et Vice-Présidente du CCAS d’Amiens

L’ensemble de ces acteurs de proximité largement implantés sur les territoires souligne l’importance d’une relation de confiance avec les personnes qu’ils accompagnent ou accueillent dans leurs locaux. Pour ces acteurs, cette confiance garantit un accompagnement de qualité.  Bon nombre de personnes ont aussi besoin d’être rassurées dans la réalisation de démarches en ligne (démarches bancaires, traitement des factures d’énergie ou de téléphone, etc.).

« Ce qui fait qu’on est un acteur de confiance, c’est que les gens sont directement dans le projet. On a la capacité de faire des choses pour les gens car ils ont confiance dans la régie, on est capable d’aller vers eux, et c’est là notre valeur ajoutée. »

Tarek Daher, CNLRQ

« La communauté de communes du Val d’Amboise va très prochainement lancer Pep’iitLab, un service public d’accompagnement des personnes en difficulté avec les usages numériques, ceci après une étude de terrain de plus d’un an qui nous a permis de mettre en évidence plusieurs barrières à lever, par exemple la barrière de confiance entre les habitants des QPV et les pouvoirs publics » 

J.M Blanchard, contributeur sur la plateforme

D’autres organisations plus directement identifiées comme des intervenants sur les questions numériques sont également acteurs dans l’accompagnement des publics, à l’image des EPN (Espaces Publics Numériques), des MSAP (Maisons de services au public) et des PIMMS (Points Information Mediation Multi Services) qui proposent un espace numérique en libre-service avec la possibilité d’avoir un accompagnement aux démarches. Ces structures sont aujourd’hui reconnues comme des acteurs clés favorisant l’inclusion numérique. Elles proposent des accompagnements aux démarches sur les opérations dématérialisées sur les sites des opérateurs et les services des entreprises (énergie, eau,…) et mettent aussi en place des ateliers et des formations sur le numérique. Certains opérateurs publics développent des partenariats avec des acteurs de proximité pour accompagner les publics.

 Les Caf ont déployé deux “labels” de partenariat d’accueil (points relais Caf et points numériques Caf). Ces partenariats garantissent un lien permanent entre les opérateurs des services publics et ces acteurs locaux : les acteurs locaux sont accompagnés par les Caf (formations, diffusions d’actualité sur les démarches, la réglementation), les Caf peuvent s’appuyer sur ces structures pour mieux appréhender les difficultés des publics et adapter leurs actions à leur encontre.

On observe par ailleurs un « transfert » de populations vers différents types d’acteurs publics, para-publics et  privés quand l’accompagnement humain à la médiation numérique n’a pas été pensé ou structuré.

« On observe un effet de délégation en chaîne de la gestion de la barrière numérique. Les administrations délèguent aux structures sociales, qui renvoient aux associations. Il y a là un souci parce que les bénévoles sont fortement sollicités. Par ailleurs, l’accompagnement aux démarches numériques va au-delà de l’aide numérique. Il y a aussi un enjeu d’accompagnement sur le langage et le process administratif.»

Soisic Rivoalan – Chargée de mission inclusion numérique, Croix-Rouge française

France Médiation, le réseau d’acteurs de la médiation sociale va également dans ce sens :

« La transition des services publics vers le « tout numérique » constitue bien un facteur supplémentaire d’exclusion, non seulement pour les publics pauvres ou précaires, qui sont précisément ceux pour lesquels les prestations sociales sont les plus vitales, mais aussi pour les franges de la population qui n’ont pas une pratique courante d’internet (personnes âgées, personnes maîtrisant mal le français, etc.) ou qui ne savent pas l’utiliser à des fins administratives. Privées d’interlocuteurs publics, ces populations se tournent de plus en plus massivement vers les associations de proximité pour les accompagner dans leurs démarches quotidiennes. Or ce transfert de fait d’une mission de service public vers les acteurs associatifs est aujourd’hui très insuffisamment coordonné, anticipé et financé par les pouvoirs publics. En plus d’aggraver les inégalités et les situations de non recours, cette situation contribue à augmenter la défiance que des populations s’estimant « laissées pour compte » peuvent nourrir à l’égard des institutions. Elle entraîne également des difficultés croissantes au sein du monde associatif, qui, faute de moyens humains et financiers suffisants, se trouve dans l’incapacité de répondre à l’ampleur des besoins. »

Propositions de France Médiation au Secrétariat d’Etat au numérique, mars 2018

Le développement des réseaux de partenariats d’accueil sur les territoires est fortement impulsé par l’Etat, notamment au moyen du dispositif de “maisons de services aux publics”. Par ailleurs, si certains services publics ont fermé leurs accueils physiques, d’autres ont transformé leurs modalités d’accueil.

Les Caf ont fait évoluer tous les “guichets d’accueil” en espaces multiservices accompagnés par des professionnels de l’accompagnement numérique (plus de 650 “conseillers services à l’usager” sur l’ensemble du territoire).

On observe donc une augmentation de l’accompagnement lié aux usages du numérique par différents types d’acteurs de proximité largement implantés dans les territoires et par les acteurs de l’accompagnement social. Ce report de charge n’est pour autant pas toujours accompagné d’un déploiement de moyens techniques, humains et financiers.

 « En tant qu’association, on a le souci d’être à notre place associative : aider les personnes mais ne pas faire à la place des services publics. »

Louis Cantuel – Responsable des relations institutionnelles, Restos du cœur

«  Qui sommes-nous ? Des sous agents des services publics ou des travailleurs sociaux ? Doit-on acquérir des compétences liées à la médiation numérique ? Faut-il faire exister un binôme compétent là-dessus ? »

Sylvie Emsellem -  Chargée de missions problématiques et partenariat, UNAFO – Union professionnelle du logement accompagné